Parce que nous avons largement passé l’âge de persécuter la vieille dame du troisième au beau milieu de la nuit pour qu’elle nous cède son précieux stock de bonbons périmés - une activité nocturne passible, une fois passée la puberté, de sérieuses poursuites judiciaires, soit dit en passant - autant profiter de cette soirée à thème tout trouvé du 31 octobre pour convier la fine fleur - fanée - de votre carnet d’adresse à secouer son cuir chevelu en cadence sur quelques partitions macabres bien choisies. Une chance que revenants, goules, sorcières, canidés anthropophages et psychopathes en tout genre aient fortement inspiré nos turbulentes rock stars des décennies durant. Voici donc une mixtape taillée sur mesure comme le costume trois pièces de Patrick Bateman par nos soins, endiablée - ah, ah - juste ce qu’il faut, et, espérons-le, assez surprenante pour réveiller les morts. Allez, bonne soirée les macchabées!
Une entrée en matière très premier degré donc, mais entonnée par la nécromancienne new wave en chef, Siouxsie Sioux, s’il vous plait. Cuissardes crissantes, makeup conceptuel et mélodies ténébreuses bien balancées ont vite fait, à l'époque, d’introniser la vénéneuse et charismatique Siouxsie pendant (post)punk de la Madonna eighties. Pour le plus grand plaisir des jeunes filles blafardes et renfrognées en quête d’inspiration.
S’il est un courant musical pas franchement réputé pour son sens de l’humour, c’est bien le mouvement folk - n’est-ce pas Monsieur Zimmerman? Quelle fraîcheur interlope que fut donc la – courte et très confidentielle - carrière de Norma Tanega, petite chose délicieusement excentrique, dévergondeuse de la gentille Dusty Springfield, accoutumée des concerts donnés dans les camps de vacances et autres hôpitaux psychiatriques, qui s’amuse comme une folle à promener son chat baptisé « dog » en laisse, pour finir par en faire une chanson - seul véritable tube parmi les rigolotes exactions folks de la demoiselle. Petit bijou d’impudence entraînant inspiré par le cynisme de l’industrie musicale, le titre You’re Dead fut déterré en 2014 par le film - et la série qui en fut tirée - What We Do In The Shadows : un mocumentaire horrifique qui suit les tribulations d’une coloc de vampires inadaptés un peu bas du front. À voir absolument.
Acmé annuelle de l’horripilation, Halloween se résume souvent à la vulgaire accumulation d’accoutrements et d’attitudes grotesques empruntés à des alter egos supposément monstrueux, dans le seul but de libérer les inhibitions et les bons vieux complexes freudiens de la classe moyenne. Un peu d’élégance ne fera donc certainement pas de mal à une célébration spectrale devenue un peu trop synonyme de bitures débauchées et de tenues féminines microscopiques, spécifiquement étudiées pour ulcérer les grand-mères semble-t-il. Jouant sur le grand classique de la gentille jeune fille dangereusement énamourée d’un mauvais garçon, la soul chastement sensuelle du Spooky de Dusty Springfield remet les compteurs du bon goût à zéro. Et on lui dit merci.
À l’avant garde du psychédélisme, Donovan trempe, avec Season of the Witch, sa plume acide dans la métaphore occulte, inquiétante et paranoïaque. Avant de devenir icône féministe, la figure de la sorcière incarnait la démence. Celle, incomprise, des jeunes femmes concernées par ces accusations absurdes, et par prolongement, la bigoterie mortifère de leurs bourreaux. Ici, la folie est addiction narcotique, et la persecution de ces pseudo harpies, celle des fumeurs de marijuana. Peu de temps après la sortie du morceau, Donovan est arrêté pour possession de ladite « herbe magique ». Prémonition? Qui sait?
Désaxé irrésistible par excellence, Bowie n’a jamais caché son attirance pour l’étrangeté. Extra terrestre flamboyant - période Ziggy Stardust évidemment, puis plus énigmatique, au cinéma, dans L’Homme qui Venait d’Ailleurs - ou vampire sulfureux, dans Les Prédateurs de Tony Scott, il a l’habitude de mettre son charisme carnassier au service de personnages énergumènes inquiétants en tout genre. Avec Scary Monsters, Bowie connaît un succès expérimental surprenant. Un heureux tube à essai musical, un brin bordélique et furieusement accrocheur, évocation de la folie là encore, et probable hommage aux marginaux bizarres qui l’inspirèrent tant.
Aberration preppy évoluant entre les murs poisseux et décrépis du berceau new-yorkais du punk - le CBGB - les Talking Heads dénotaient franchement dans le paysage déluré et hirsute du Bowery seventies. Des gamins bien propres sur eux, rejetons d’écoles d’art, des premiers de la classe bien peignés qui déployaient un rock conceptuel terriblement bien foutu sur la scène cradingue de la Mecque du punk entre deux attentats soniques des Ramones et consorts. Une anti-conformité polie, qui pourrait peut-être justifier cette empathie dérangeante pour le sociopathe moyen, souvent terré sous une bonne couche de vernis de courtoisie discrète. Très en adéquation avec le NY de 77, coupe gorge qui vit au rythme des agressions primitives et autres meurtres ultra violents infligés à ses résidents – c’est d’ailleurs l’année où l’infâme Son of Sam a terrorisé la ville – le psychopathe de David Byrne est un cinglé tranquille, qui s’amuse – en français dans le texte – à faire danser les sales gosses en roue libre du punk sur l’évocation sibylline d’un pétage de plombs meurtrier. Les prémices de la consécration éminemment contestable du tueur en série dans notre charmante pop culture.
Fantastique ballade cold wave ténébreuse et romantique, The Killing Moon est l’atout charme mélancolique de cette mixtape. LA chanson qui vous permettra de conclure avec la séduisante personne à la mine triste et impénétrable du sexe opposé - ou pas d’ailleurs - que vous convoitez désespérément depuis le début de cette - pas si - lugubre soirée. Juste ce qu’il faut de mystère et de spleen lascifs pour inoculer l’atmosphère d’un délicat trouble langoureux : vous nous en direz des nouvelles.
Quel flair ces Creedences quand même : la mauvaise lune qui se lève, les problèmes, la rage, la ruine et la fin qui approchent… Sortie en avril 69, la chanson faussement guillerette des quatre chevelus de Berkeley s’est avérée sinistrement prémonitoire, puisque tout juste quatre mois plus tard, Charlie Manson et ses apôtres hallucinés aux cheveux gras s’était chargé de donner raison au mauvais présage bluesy du groupe, en s(a)ignant l’arrêt de mort de la candeur hippie.
Formation rock fétiche des broyeurs de noir assermentés, Joy Division et son leader tourmenté excellent pour emballer névroses et angoisses existentielles dans une atmosphère sépulcrale tantôt cotonneuse, tantôt épileptique, particulièrement pertinente pour toute une génération de rockers en proie aux affres dépressifs. Ici les « âmes mortes » de Nikolaï Gogol embarquent pour un train fantôme poétique qui file droit vers les méandres torturés de la psyché schizoïde, sans doute plus inquiétants encore que n’importe quel épouvantail chimérique…
Si vous avez jeté un œil à nos suggestions cinématographiques postées pour Halloween dernier, vous êtes déjà au fait de notre petite faiblesse pour les spécimens lycanthropiques londoniens. Warren Zevon et son morceau d’épouvante bienveillante au gimmick qui hurle à la lune tape donc, en ce qui nous concerne, en plein dans le mille.