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La tendance des longs long-métrages

07/03/2023
Le dernier soupir des salles obscures?

Si vous avez récemment pénétré une salle obscure pour gouter à la décadence incandescente du Babylon de Damien Chazelle, ou à l’onirisme misanthropique d’Avatar 2 : La Voie de l’Eau, il y a de fortes chances pour qu’une fois devant la machine à café le lundi matin, la première reflexion de vos collègues à l’évocation de votre sortie du week-end ait été « Et trois heures, ça t’a pas semblé un peu long? » Alors oui, trois heures - soit 180 minutes, soit 10800 secondes - au cinéma, entre la mastication de pop-corn très sonore de votre voisine de droite, et les effluves des chaussettes de votre voisin de gauche - très à l’aise lui semble-t-il - relèvent désormais de l’épreuve psychologique pour tout cinéphage version 2023, sur-domestiqué par des confinements à répétitions, et probablement devenu un brin agoraphobe. Mais lorsque l’on sait que ces mêmes collègues ont, de leur coté, passé la moitié consciente de leur week-end ventousés à leur écran de TV/ordinateur/tablette neuf bonnes heures - dont minimum quatre ou cinq d’affilées - devant la première saison de The Last of Us, il y a de quoi se demander s’ils ne se paient pas un peu notre tête. 

Oui mais voilà, le spectateur moderne entretien désormais une relation amoureuse exclusive et fidèle avec son canapé. Les exploitants savent donc que pour le motiver à sortir de sa douillette tanière, il va falloir s'en donner les moyens. Et étant donné que le prix d’un ticket de cinéma dépasse dangereusement celui des abonnements standards mensuels de la plupart des services de streaming, et que pas mal de cinephiles ont profité des économies découlant de la suspension de leur vie sociale deux ans durant pour investir dans un système - voire une salle dédiée - home cinéma cinq étoiles, le défi est de taille pour l’industrie de l’exploitation cinématographique. Il s’agit plus que jamais de faire en sorte que le spectateur en ait ostensiblement pour son argent. 

 

 

 

La contre-attaque est donc la suivante : plus de spectacle, plus de stars, plus d’effets spéciaux, et… plus de temps à l’écran. Une volonté pour l’usine à rêve du cinéma de justifier le déplacement et la dépense de sa clientèle, mais aussi d’approfondir et d’étendre les récits, à la manière du très populaire format sériel. À cela s’ajoute le retour ad patres entériné de la pellicule 35mm - hors de prix - au milieu des années 2010, en faveur des tournages numériques, offrant aux studios un peu plus de marge de manoeuvre financière pour allonger les scénarios. Enfin, du coté des exploitants, grâce au gabarit maniable des serveurs numériques DCP - semblable à celui d’un gros disque dur - on ne frissonne plus à l’idée de projeter une oeuvre prolixe : finis les lumbagos chroniques pour les projectionnistes - les copies argentiques étant scindées à l’époque en galettes de 20min de plusieurs kilogrammes chacune, imaginez le calvaire que représentait le montage, la projection, puis le démontage d’un film comme Il Était une Fois en Amérique - Sergio Leone, 1984, 3h49… Certes, le charme est rompu, mais la pénibilité au travail sérieusement rognée pour les artisans de la projection. 

Les films à l’action très étendue ne sont donc pas tout à fait une nouveauté, pensez au Ben Hur de William Wyler - 1959 - et ses 3h34, au Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz, Rouben Mamoulian et Darryl F. Zanuck - 1963 - et ses 4h11, ou encore, à la star incontestée du genre, Autant en Emporte le Vent de Victor Fleming, George Cukor et Sam Wood - 1939 - et ses 3h58 : du costume et des décors grandioses en-veux-tu-en-voilà… de l’épique en somme. Outres certaines exceptions voulant très clairement se démarquer dès les années 50 du format cheap et express de l’offre cathodique, la tendance était malgré tout aux « double features » : deux films projetés à la suite pour le prix d’un, qui a conditionné les studios à raboter le métrage de leurs films en masse. La norme tournait alors en consequence autours des 100 minutes, et s’est imprimée dans l’inconscient collectif. Mais ce laps s’est étiré tranquillement au fil du temps, pour dépasser allègrement les deux heures, avec le sacre de réalisateurs tels que Francis Ford Coppola - Le Parrain, 1972, 2h55, Le Parrain 2ème Partie, 3h22 - Martin Scorcese - Casino, 1995, 2h58 - James Cameron - Titanic, 1997, 3h30 - ou encore Peter Jackson, qui depuis ses succinctes exactions gores nineties, enchaîne les épopées fantasy luxuriantes. Tous sont connus pour leur manque assumé de concision. Souvent pour le plus grand plaisir des spectateurs d’ailleurs. 

 

 

Mais même les meilleurs se cassent parfois les dents sur la langueur de leur création. David Fincher, génie adoubé d’un Hollywood plus ténébreux, en a fait les frais avec son pourtant excellent Zodiac - 2007, 2h40. Polar magistral sur un tueur en série mythique jamais démasqué, Zodiac fait le pari fou de séquestrer ses spectateurs plus de deux heures trente sans leur offrir de rutilantes scènes d’action, ou la clef de l’énigme, et donc un relatif happy end : autant dire une hérésie. Conscient de jouer avec le feu, Fincher demande à ses acteurs d’accélérer leur locution au cours de dialogues fleuves pour gagner du temps de pellicule. Mais rien n'y fait, et malgré une mise en scène impeccable et des acteurs dirigés avec maestria, le film ne survit pas longtemps en salle. Peut-être est-ce cette légère frustration passée qui mena Fincher à s’acoquiner avec Netflix pour ses projets les plus récents, dont le très personnel et - disons-le carrément - casse-gueule Mank - 2020, 2h20. 

Il ne manquait plus que ça, voilà le foutu streaming et son succès très lucratif qui fait de l’oeil à des Scorcese - The Irishman, 2019, 3h30 - des Alfonso Cuarón - Roma, 2018, 2h15 - ou encore des Alejandro González Iñárritu - Bardo, 2022, 2h39 - en leur promettant une liberté artistique totale - thèmes plus introspectifs, narration plus longue, et le budget qui va avec - que l’exploitation classique en salle, dans la tourmente, ne pouvait plus se permettre ces derniers temps. Peut-être est-ce donc cela que le cinéma « à l’ancienne » tente de prouver à ses réalisateurs et spectateurs avec une oeuvre comme Babylon, flamboyante et décadente, joli caprice de son metteur en scène : the show must go on. Même si le privilège de la chose reste plutôt réservé aux réalisateurs reconnus - et oscarisés si possible - aptes à faire se déplacer les foules, aux très rémunérateurs blockbusters, et enfin, à la niche « cinéma d’auteur ». Ainsi, si vous prévoyez d’haleter devant les dernières péripéties sur silver screen de vos supers héros préférés, pensez à réserver votre après-midi - Avengers : Endgame, 2019, 3h02.

Et même si les temps qui courent ne semblent pas encourager ces long-métrages à la durée dilatée, les indicateurs sociétaux alertant fortement sur l’atrophie généralisée de l’attention de toute une planète diagnostiquée TDAH - coucou formats Tik Tok, stories et autres reels Instagram…. - le cinéma, à l’inverse de l’industrie musicale qui s’est déjà amplement formatée à ce constat tragique, semble bien décidé à resister encore un peu.  

 

 

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