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Les hits streaming de plus en plus courts

05/01/2022
La guerre du stream : Moins c’est long, plus c’est bon ?

Il fut un temps où écouter un album constituait toute une démarche. Une succession de gestes devenus réflexes, qui sollicitaient tout un tas de connexions neuronales, de périlleuses contractions musculaires. L’avénement du streaming a férocement changé la donne. Un cellulaire, qui, soyons honnêtes, a quasiment fusionné avec notre membre brachial ces dernières années, deux ou trois impulsions digitales, et nous voilà branchés à une abîme musicale couvrant tout le spectre des combinaisons rythmiques jamais expérimentées. 

Une véritable révolution qui ne pouvait que chambouler nos habitudes d’écoute. Cette profusion mélodique facile allait titiller nos tendances boulimiques, allait atrophier encore un peu plus notre capacité d’attention. Une hémorragie de musiques, qui échappent dès (dé)matérialisation à leurs auteurs, inhalées sans affect par des auditeurs trop gâtés, devenus somnambules. Un petit monde régit par une loi de la jungle sans pitié : le mélomane 2.0 consomme à toute allure, se lasse vite et zappe. Un morceau trop long, on oublie. Une chanson non ingurgitée dans son entièreté – courte l’entièreté SVP - à vitesse grand V et la machine s’enraye. L’artiste n’empochera rien de sa déjà bien maigre rétribution. Par conséquent, ce n’est plus forcément la qualité qui prime – bien que punks et rappeurs aient excellé en matière de tubes efficaces et succincts - mais la quantité. Des titres peut-être moins aboutis, mais à foison, pour assurer un maximum de streams. Fini l’éloquence instrumentale poussive typée seventies, oubliée même les introductions surdéveloppées. Autant dire qu’en 2021, Led Zeppelin n’aurait jamais percé. Alors, sommes nous dorénavant condamnés à n’accéder qu’au Coca Zero de la création musicale ?

 

CHAPITRE I : MUSICOLOGIE ET DARWINISME.

 

Selon une étude commanditée par Samsung, la capacité d’attention moyenne des homos sapiens  aurait régressée de 15 secondes au début des années 2000, à 8 aujourd’hui. Parallèlement, on note que la durée moyenne des hits streaming est de plus en plus rabotée. Au court des deux dernières décennies, elle aurait dégringolé de 20%. À la fin des années 90, il n’était pas rare de retrouver en tête des charts des titres dépassant les cinq minutes - remémorez vous Madonna et les 6 minutes crypto gothiques de Frozen - vingt ans plus tard, cela sonne comme une aberration. La moyenne est descendue à 3 minutes 30. Et elle ne freine pas sa chute. Ces deux dernières années, les titres les plus écoutés ne dépassent même pas les 3 minutes. Les projections futures promettent pour 2030 un très fugace 2 minutes 30.  

 

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Pour bien comprendre cette tendance, il est important de s’arrêter sur le fonctionnement algorithmique des plateformes de musique en ligne. Jusqu’à présent, seules les diffusions radiophoniques - ou les robinets à vidéo clips type MTV - contraignaient les artistes à calibrer leurs titres pour s’assurer une place dans les programmations, au risque, dans le cas contraire, de les entendre atrocement amputés, voire délibérément ignorés des playlists.

 

 

Il aurait été logique d’imaginer que l’avénement des plateformes de streaming allait libérer les artistes de ces persécutions marketing. C’est tout l’inverse. La pression est énorme. Et d’autant plus aujourd’hui, alors que la consommation musicale via support physique est devenue plus qu’anecdotique. Les disques se vendent peu ou plus, seul le streaming persiste, représentant à lui seul 80% du magot de l’industrie musicale. Le streaming est roi, et le roi a droit de vie ou de mort sur ses sujets artistes. Des artistes rétribués qu’à condition que l’auditeur dépasse les trente secondes d’écoute. Plus les titres sont avortés, moins les algorithmes les proposeront en suggestion. Un cercle vicieux. Le but est donc non seulement d’happer l’auditeur, mais de s’assurer de ne pas le lasser avec des fioritures aux prétentions artistiques trop pompeuses. Résultat : un contenu musical inondé de tubes taillés – ras – par des plasticiens tactiques pétris de spéculations froides, des morceaux automates à l’euphorie factice, ou haïkus sentimentaux faussement habités, dont toute l’architecture pourrait être résumée en deux mots : capter l’attention. Des albums pragmatiques, pensés comme une longue crise de hoquet entrainante. Les refrains arrivent d’ailleurs désormais dès les premières secondes : on imagine mal Iggy Pop taillader sciemment Lust for Life et son refrain qui ne ramène sa fraise qu’au bout d’1 minute 45, pour coller aux normes du streaming n’est ce pas? Mais n’est pas Iggy Pop qui veut, et lui avait la chance d’avoir des fans qui achetaient encore vinyles et compact discs… Et puis après tout, un titre court mais efficace provoquera peut-être assez de frustration pour déclencher une envie irrépressible de cliquer sur repeat…

 

CHAPITRE II : LE DILEMME DES ARTISTES.

 

La marche de manoeuvre des musiciens est donc assez faible. Que faire? Aller au bout de sa démarche artistique ou adapter le « message » aux lois du marché? On remarque non seulement une tendance à écourter les chansons en elle-même, mais également leur titre : un ou deux mot pas plus, qui doivent taper juste. 

Cette frustration artistique influence-t-elle l’humeur des chansons? Il est assez intéressant de noter que malgré une piste toujours plus courte, la syntagme des chansons n’a jamais été aussi dense. Les artistes ont toujours des choses à dire, mais ils doivent le faire vite. 

Il semblerait également que la tendance soit au spleen subliminal dansant ces dernières années. D’après une étude des développeurs de Spotify, les chansons auraient, depuis les années quatre-vingt dix, un penchant grandissant pour la déprime. Depuis 2011, le moral des chansons pop est dans leurs chaussettes, ou devrions-nous dire, dans leurs chaussons de danse, puisque leur « dansabilité » elle, n’a fait qu’augmenter. 

De là, une formule magique s’est donc dégagée : faire simple, court, accrocheur et frétillant assure la survie - voire la belle vie - des artistes, aussi déprimés soient-ils. On est pas là pour s’apitoyer. Une recette gagnante amplement exploitée par les compositeurs/machines à tubes des artistes mainstream.

 

CHAPITRE III : UNE INJONCTION À LA CONCISION VRAIMENT SI INÉDITE?

 

Alors oui, nous avons bien conscience de ce dont nous avons l’air là, avec notre pudibonderie ulcérée de mélomanes borderline réactionnaires…

Surtout qu’à bien y réfléchir, à travers l’histoire, les artistes ont souvent eu à subir les contraintes artistiques intrinsèques aux évolutions des habitudes d’écoute. La préhistoire musicale - des années 20 aux fifties - celle des phonographes, était peuplée de morceaux ne dépassant pas les 2 ou 3 minutes, ces fossiles phoniques ne pouvant contenir guerre plus. Viendra bien plus tard la vogue des mixtapes, qui comportaient souvent une bonne vingtaine de chansons, forcément choisies pour leur laconisme. 

Certain genre musicaux ont par ailleurs toujours préféré un style lapidaire à la langueur symphonique : l’exubérance furieuse du rap a souvent été l’affaire de quelque minutes, distillées avec une économie stylée, mais en grande quantité, sur des albums qui explosaient les quotas niveaux nombre de plages. Cette tendance à multiplier les pistes courtes et accrocheuses n’est donc pas du tout inédite pour les protagonistes du genre. Et puisque le rap et ses dérivés sont de loin les mouvements musicaux les plus populaires parmi les 12-25 ans - coeur de cible des plateformes - ils sont logiquement les plus streamés. CQFD. 

Cette prédominance des titres les plus succincts ne révèlerait alors que la simple tendance de ces genres musicaux ultra populaires à faire court et sautillant, quel que soit le degré d’intensité de leurs revendications, cachées ou non d’ailleurs. Le streaming n’aurait finalement eu qu’un effet loupe sur ces derniers, plus qu’une véritable influence. Les autres styles musicaux eux, privés des médiums conventionnels, n’ont eu d’autre choix que de s’adapter à ce format. Perdant sans doute un peu de leur superbe au passage. 

Cette tendance à condenser la verve des musiciens n’est donc pas forcément exclusive au concept streaming, et s’infiltre jusque dans les mouvements musicaux que l’on aurait pu penser intouchables. Universal Music Group s’est penché sur les enregistrements de l’oeuvre de Jean-Sébastien Bach : cette dernière serait 30 % plus véloce en 2016 que cinquante ans auparavant. Son Double Concerto pour Violon, exécuté en 1961, culminait à 17 minutes d’enregistrement, passant à 15 en 78, puis 12 au milieu des années 2010. Une fonte d’une minute par décennie, qui traduit encore une fois cette frousse irrépressible de perdre un auditeur de moins en moins attentif, qui finalement, n’a pas attendu les plateformes de streaming pour se laisser distraire…

 

 

Il n’est évidemment pas impossible de faire bref et bon, loin de là, l’histoire de la musique l’a prouvé à maintes reprises, mais il est fondamental que la brièveté d’une chanson soit le fruit d’une démarche artistique sincère et choisie, et non de considérations pécuniaires imposées, ou d’une condescendance quant à un soit disant déficit de l’attention généralisé chez les mélomanes modernes. 

 

CHAPITRE IV : LA MIXTAPE INSURRECTIONNELLE. 

 

Pour conclure, nous avons choisi, chers lecteurs, de tester vos aptitudes de concentration en vous proposant une playlist rebelle et hédoniste, composée de titre éhontément longs. Irez-vous jusqu’au bout?

 

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