Bien naïf celui qui pense que seul le talent brut suffit à marquer les mémoires musicales. Car si mélodies et voix électrisent, c’est bien l’allure d’un artiste qui imprime la rétine et en fait une star à émuler. Que celles et ceux qui n’ont pas respectivement adopté la dégaine androgyne chemise/cravate d’une Patti Smith, ou les atours à trois bandes des lascars de Run-DMC à un moment donné de leur chronologie mélomane nous jettent la première pierre.
Car peu de légendes de la musique se sont contentées d’un charisme minimal. L’image de marque d’un artiste est une composante évidente de son univers créatif : le Keith Richards des seventies et ses nippes barrocco-hippies piquées à sa moitié de l’époque Anita Pallenberg, Prince et son sex-appeal de velours améthyste, ou plus récemment Amy Winehouse et son combo néo-sixties choucroute architecturale et eyeliner graphique… que ces trois exemples aient été touchés par la grâce musicale ne fait aucun doute, mais leur allure très étudiée a très certainement contribué à exalter le mythe et entériner leur canonisation rock.
Les looks signatures des enfant terribles de la musique se copient inlassablement, s’exportent dans la rue, d’abord via leur fans, qui adoptent apparats flamboyants et coiffures jugées excentriques comme un signe de ralliement, puis se distille plus discrètement chez Monsieur et Madame Tout-le-Monde, qui ont vu successivement leurs jupes significativement se raccourcir, leurs pantalons passer du pattes d’éph’ aux coupes cigarettes étriquées, et cuir, denim et autres tee shirts de groupes de rock élimés prendre d’assaut leur vestiaire quotidien.
Étude de cas : Monsieur David Bowie
Qu’ils soient révolutionnaires ou pas, les choix sartoriaux de nos idoles ont une saveur émancipatrice indiscutée. Sans aucun doute l’exemple le plus prégnant de ce constat musico-stylistique, David Bowie a su multiplier les persona charismatiques afin de sur-imprimer l’inconscient collectif. Bien des jeunes hommes martyrs des seventies - et après – car pas assez virils ont certainement du entrevoir une lueur d’espoir en scrutant ses multiples alias, tantôt alanguis en robe longue, perchés sur des platform boots, ou maquillés comme de rutilants camions volés.
C’est d’ailleurs souvent dans l’industrie du disque que la mode a trouvé ses plus belles et retentissantes égéries : la délicate Françoise Hardy pour Paco Rabanne, ou évidemment : la sulfureuse Madonna pour Jean Paul Gaultier - pour ne citer qu’elles. Hedi Slimane – créateur de génie ultra vénéré et proche adoubé de l’aristocratie rock - ne s’y est d’ailleurs pas trompé. D’abord en élaborant l’uniforme – très étriqué - du rockeur moderne au début des années 2000 chez Dior Homme, puis en multipliant les clichés noirs et blancs léchés de la quasi totalités des icônes du genre pour les campagnes Saint Laurent.
La mode aime les musiciens donc, et ces derniers le lui rendent bien. N’oublions pas que lorsque le très convoité Jagger épouse Bianca en 71, c’est déjà en Yves Saint Laurent que le couple le plus photogénique de l’histoire de la musique convole. Et dès les années 50, c’est ces mêmes musiciens qui dictent les tendances de la rue. De Sinatra et ses groupies Bobby-Soxers, aux pulls mités de Kurt Cobain, chaque décade a vu son courant musical s’engouffrer dans les penderies adolescentes.
Il y eu les Mods vs les Rockers évidemment, quand blousons noirs et costumes trois pièces s’éviscéraient sans vergogne sur la bande son la plus cool de toute la création. Ont suivi les chevelus en slow motion hippies, leurs looks flower power et leurs pieds nus. En 77, c’est Vivienne Westwood, future créatrice star de la mode britannique qui échafaude l’attentat sartorial du punk. Viendra ensuite l’allure exsangue et neurasthénique New Wave, le spandex viriliste du hard rock, les joggings XXL et autres baggouses Hip Hop… Car la mode est résiliente chers amis, et elle excelle à phagocyter et tourner à son avantage y compris les mouvements qui la rejettent supposément - hello Marc Jacobs, qui, avant un règne honorable chez Louis Vuitton dans les nineties, avait propulsé le Grunge sur les podiums pour Perri Ellis...
Celui qui aura sans doute le mieux illustré ce flirt assumé entre les deux industries, c’est George Michael, qui, avec deux vidéoclips – Freedom 90, et Too Funky, réalisé (mais pas tout à fait assumé) par Monsieur Thierry Mugler – immortalise l’ère des supermodels avec panache, tout en faisant hyperventiler fans et fashionistas. Aujourd’hui, du coté du commun des mortels, les plus pointus et/ou complétistes d’entre eux pourront renflouer leur stock de tee-shirts à connotation rock précités en traquant les quelques marques très malignes ayant repris les imprimés arborés à la grande époque par de certains Joey Ramone, Keith Moon, Franck Zappa ou encore Debbie Harry. De quoi briller avec subtilité dans les dîners interlopes.
Et à l’heure d’Instagram, où l’image impacte plus que jamais, l’apparence d’un artiste prévaut encore et toujours plus, et se professionnalise. Contrat lucratif avec les maisons de mode, fondements vissés aux premiers rangs des défilés... même notre chère Céline Dion s’est offert un personal stylist très influent et une flamboyante sortie du formol stylistique il y a quelques années. Résultat : plus 1000 points de coolitude et une jolie roboration de carrière. Et avec la nomination de Pharrell Williams à la tête des créations masculines chez Vuitton il y a déjà trois collections, les frontières entre mode et musique se floutent à tout jamais.