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Festival de Cannes 2022

17/05/2022
Une 75ème édition comme un renouveau

Après une édition 2020 annulée, et la suivante, repoussée à juillet 2021, en demi-teinte, le Festival de Cannes revient, comme il se doit, à son bon vieux joli mois de mai. Tapis carmin, fil rouge d’une montée des marches merveilleusement interminable, paparazzi hurlants au bord de la convulsion, starlettes plus ou moins éphémères qui paradent en pompes à cinq mille, et badauds retraités au cuir tanné et leurs canidés miniatures : un retour aux sources on vous dit. 

Le Festival de Cannes s’est toujours distingué par la singularité de son palmarès, par le cosmopolitisme et la diversité de sa sélection, et cette année ne devrait pas faire exception. Les organisateurs du festival se sont assurés de la substance de cette édition forcément très attendue, avec une compétition qui intègre pas moins de quatre champions précédemment auréolés de la précieuse Palme d’Or : les indéboulonnables frères Dardenne – auteurs d’une très impressionnante doublette, avec Rosetta en 99, et L’Enfant en 2005 – Hirokazu Kore-eda – Une Affaire de Famille, Palme d’Or 2018 – Cristian Mungiu – 4 mois, 3 semaines, 2 jours, vainqueur en 2007 – et Ruben Ostlund -  auteur du poil à gratter The Square, lauréat 2017. 

Et puis, Cannes ne serait pas vraiment Cannes sans une élucubration déglingue de Quentin Dupieux - Fumer Fait Tousser - la contribution rock’n’roll d’un membre de la fratrie Cohen - Jerry Lee Lewis: Trouble in Mind, d’Ethan Cohen - une resucée grandiloquente d’un succès eighties - Top Gun : Maverick, Joseph Kosinski - un biopic flamboyant – le rutilant Elvis de Baz Lurhmann - un délire futurisco-erotico-chirurgical signé Cronenberg – Les Crimes du Futur - et un bon vieux film de zombies ultra stylisé – Coupez !, Michel Hazanavicius, film d’ouverture. On ne devrait donc pas s’ennuyer.

 

 

Un festival à la hauteur de son aura culte, espérons-le, et placé sous le signe de l’espoir, si l’on en croit son affiche – une image poétique d’un Jim Carrey qui gravit un escalier vers les nuages, tirée du film The Truman Show de Peter Weir, 1998 - et l’interprétation qui en a été faite par les organisateurs dans leur communiqué de presse : « Des marches qui cheminent vers la révélation. Une célébration poétique de la liberté. Une ascension pour s’avancer vers la promesse d’un renouveau. » Un nouveau souffle pour l’industrie du cinéma, en hyperventilation depuis le début de la crise sanitaire. Il semblerait donc qu’on ait de nouveau le droit de rêver, et le Festival de Cannes est là pour s’en assurer. 

 

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Et puisque nous souffrons d’une - très légère - propension de junkie à ériger des tops, nous n’avons pu résister à la tentation de constituer une sélection tout à fait subjective de nos Palmes d’Or passées préférées. 

 

Pulp Fiction, Quentin Tarantino, 1994.

 

 

Des films cultes, le palmarès cannois n’en manque pas – Blow Up, Taxi Driver, Sailor et Lula, Paris, Texas… - mais peu peuvent se targuer d’avoir atteint le niveau de coolitude iconique de Pulp Fiction. Soyons honnêtes, ce film a vraiment de la gueule. La preuve en 5 points :

- Les répliques

Un scénario bien ficelé – et bon sang que c’est le cas pour ce film – n’est rien sans des dialogues instantanément adoptables par les cinéphiles en déficience de charisme oral. Professionnel des répliques démentes – cf. le mémorable monologue sur le thème de Like a Virgin de Madonna en intro du tout aussi vénéré Reservoir Dogs – Tarantino inocule son Pulp Fiction de gimmicks chics et chocs passés « le temps d’un battement de cil » dans le quotidien des fans du film. 

- Le montage

Une idée brillante quand même. Le film est monté comme un mini casse-tête, que les cinéphages du monde entier ont pu décortiquer et remettre dans l’ordre avec délectation.

- La bande originale

Ah, cette musique délicieusement surf! Alors certes, avec le temps, elle a été profanée, se retrouvant propulsée sur nos petits écrans, recyclée dans des spots publicitaires aromatisés au fromage de synthèse, mais quand même, cette BO, quelle claque !

- Les personnages féminins

Le film fait évidemment la part belle aux personnages über mâles, mais les délicieuses nanas distillées tout au long du scénario sont toutes plus charismatiques les unes que les autres. Q.T. explore le vaste prisme féminin avec classe. La femme enfant – Fabienne - l’envoûtante Esmeralda, la « douce » et ambivalente Honey Bunny, amoureuse folle de son bad boy Pumpkin, la femme au foyer alternative - géniale Roseanna Arquette…

- L’esthétique du film

N’oublions pas que le film date du début des nineties, période creuse stylistiquement parlant. Pour peu que vous n’ayez pas choisi d’embrasser les codes vestimentaires du mouvement grunge encore balbutiant, vous vous baladiez très probablement dans des vêtements synthétiques aux coupes peu flatteuses et aux couleurs criardes, le tout agrémenté d’accessoires de goût, comme le sac banane par exemple. Et là, le film et ses influences americana débarquent, à grand renforts de références appuyées au style fifties, et : Mia Wallace. Ah, Mia Wallace… La chemise androgyne! Les ongles lie de vin! La red lip! Le pantalon feu de plancher! La frange! Le trench piqué à Travolta! LE TRENCH PIQUÉ À TRAVOLTA! Pardon. Reprenons nos esprits.

La typo du générique. L’affiche. Le Jack Rabbit Slims. La stéréo des Wallace. Enfin, même les paquets de céréales sont stylés dans ce film !

 

Titane, Julia Ducournau, 2021.

 

 

On a fait tout un plat du fait que la Palme d’Or ait été décernée à une réalisatrice cette année-là, mais difficile de se résigner à applaudir l’institution : deux femmes récompensées en 74 ans - Jane Campion fut la première dame à décrocher le pompon en 93 avec La Leçon de Piano, 46 ans après la création du festival... impressionnant, bravo... : un ratio pas franchement féministe. Un débat stérile et dérisoire, tout particulièrement lorsque l’on aborde le cinéma de mademoiselle Ducournau, ostensiblement sexué certes, mais pas du tout genré. Et puisqu’on est plus en 1950 – les filles aiment les princesses, les garçons les grosses voitures, gna gna gna… - c’est plutôt une bonne nouvelle. Il semblerait en tout cas que gamine, Julia Ducournau ait pas mal consommé les expérimentations interlopes de Monsieur David Cronenberg, et ce n’est pas pour nous déplaire. Avec Titane, elle nous propulse tout droit dans un univers délicieusement destroy de caisses rutilantes, de sentiments compliqués, de body horror et de mécanophilie, où le soit-disant « monstrueux » devient indéniablement beau.  

 

Parasite, Bong Joon-ho, 2019.

 

 

Bijou de mise en scène délicate où chaque détail exprime une intention terriblement profonde, perle d’humour noir, et critique sociale pertinente, Parasite a fait l’unanimité. Film virtuose, à la fois évident et complexe, à mi-chemin entre le film de genre et d’auteur, Parasite dépeint les déboires d’une famille indigente, qui s’élabore sangsue cruelle de son pendant nanti. Drôle, sublime, intelligent mais accessible, et maîtrisé de bout en bout par un réalisateur au sommet de son art. 

 

Apocalypse Now, Francis Ford Coppola, 1979.

 

 

Palme d’Or controversée – Coppola aurait fait pression sur les dirigeants du festival pour se voir décerner la récompense ultime – Apocalypse Now perdure dans le folklore cinématographique américain comme une œuvre maudite, née d’un chaos des plus absolus. Un tournage saccagé par un sort qui s’acharne : des conditions climatiques et politiques éprouvantes - l’infâme conflit du Vietnam s’achève à peine, et l’Amérique, plus divisée que jamais, n’a pas tellement envie de se regarder dans le miroir  – un casting compliqué et des égos boursouflés - et sans doute aussi, un peu cramés par une consommation délirante de marijuana... En bref, une galère, au sortir de laquelle Coppola est rincé, amaigri de quelques dizaines de kilos et endetté jusqu’au cou. Il résumera d’ailleurs ce tournage cauchemardesque en conférence de presse cannoise : « Apocalypse Now n'est pas un film sur le Vietnam, c'est le Vietnam. Et la façon dont nous avons réalisé Apocalypse Now ressemble à ce qu'étaient les Américains au Vietnam. Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d'argent, trop de matériel et petit à petit, nous sommes devenus fous ». Reste qu’Apocalypse Now, avec son atmosphère hallucinée brutale et moite, ses effluves de napalm cramoisi, ses surfeurs kamikazes, ses officiers tous plus tordus et fêlés les uns que les autres, sa Chevauchée des Walkyries de Wagner et son The End des Doors, capture parfaitement l’essence du traumatisme encore à vif d’une nation. Culte. 

 

La Dolce Vita, Federico Fellini, 1960.

 

 

Première véritable itération du style fellinien tel qu’il est imprimé dans les manuels d’apprentissage cinématographique, La Dolce Vita – en plus de pouvoir revendiquer la paternité du terme « paparazzi » - est un sublime instantané de la quintessence de l’age d’or du cinéma italien. Le film suit les pérégrinations scandaleuses d’un journaliste mondain à travers une Rome oisive et décadente. Marcello, lâche et volage, est en proie aux doutes quant à la compromission de ses idéaux. Évoluant dans la vacuité du faste et de l’excès de cette Italie post miracle économique, il voit ses ambitions d’écrivain se noyer dans la tentation et la culture de masse, si moderne, donc forcément irrésistible. Mis en musique par le génie Nino Rota, La Dolce Vita, mélancolique et sensuel à souhait, décrit l’ambivalence de cette vie « débauchée » - le film ulcéra la bienséance catholique à sa sortie – finalement pas si douce, frénétique et vide, où luxe et sordide ne sont jamais bien loin l’un de l’autre. Une œuvre désinvolte et sulfureuse, empreinte d’amertume et de grâce. Du grand Fellini. 

Et puis bon, par pure générosité désintéressée de notre part, voici une petite mention spéciale, qui ne pourra faire autrement que de vous donner le sourire :

 

La Vita è Bella, Roberto Benigni, Grand Prix du Jury 1998. 

 

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