La musique est d'une résilience folle. Dès l'ère analogique, la belle a dû s'adapter à de nombreux supports, au gré des progrès techniques d'une industrie hautement poreuse quant aux tendances d'écoute d'un public aussi bigarré que volage. Du disque phonographique 78 tours aux playlists Hi-Res Tidal, nos mélodies fétiches ont connu de multiples mutations - la plus sismique d'entre elles étant sans aucun doute le passage fulgurant de l'analogique au numérique au début des eighties, avec l'arrivée du Compact Disc. Car c'est indéniablement à ce moment précis que le monde de la musique a basculé dans une autre dimension : le jour où beats sont devenus bits.
Le basculement vers le numérique
1982. K7 règnent en maîtres sur la moquette suspecte des chambres adolescentes. Vinyles mettent à l’épreuve les étagères brinquebalantes des mélomanes collectionneurs compulsifs. Mais ces derniers ne tarderont pas à remplacer les fameux craquements du microsillon pour la compacité et la plus-value sonore du CD. Il faut dire que les maisons de disques ont fait preuve d'une grande habileté mercatique : en rééditant des albums cultes sous format CD - souvent exaltés par des titres inédits - elles incitent les fans à racheter des albums qu'ils possédaient déjà en vinyles. Cette première révolution s'avère donc particulièrement positive pour l'industrie musicale.
Le grand boum d'internet et la sublimation – chimique – de la musique
1995. Dans le sillage de la naissance d'internet poindra le format MP3, fichier hautement compressé voué à être échangé sur le net via le peer-to peer. Panique chez les acteurs du secteur de la musique. Trop occupés à compter les billets verts que le passage au numérique leur avait rapporté jusque là, ces derniers ne voient pas arriver le séisme du piratage de masse. Le nouveau millénaire s'annonce lugubre pour l'industrie musicale, asphyxiée par le carton des sites de P2P comme feus Napster, LimeWire, Kazaa ou MegaUpload, qui donnent accès à tout un monde de mélodies éthérées sans avoir un débourser le moindre centime. Certains albums fuitent même avant leur sortie, alors que les droits d'auteur sont bafoués quotidiennement par un système qui semble hors de contrôle. C'est la catastrophe.
Apple tente alors de sauver les meubles avec Itunes et son lecteur MP3 associé, l'Ipod, lancés en 2003 à grand renfort de hype. C'est un carton, mais la musique, plus volatile que jamais, a déjà muté vers le streaming, nouvelle pratique à la mode, qui permet d'écouter – toujours gracieusement - de la musique en ligne sans avoir à la télécharger. Le moral des artistes et de leurs producteurs est au plus bas.
La mutation vers le streaming
Le salut viendra de Scandinavie, de Suède plus précisément, nation souvent pertinente en choses musicales. C'est là bas, en 2008, qu'une poignée de geeks/entrepreneurs à la tête bien faite échafaudent le streaming monétisé. Spotify est né. Le concept : proposer, en échange d'une contribution mensuelle, une écoute illimitée en ligne - les internautes réfractaires au fait de s'abonner devront subir des publicités sporadiques. La plateforme évite l'illicéité en s’acquittant d'un « droit d'accès » aux catalogues des majors sous forme de redevance mensuelle. Ces dernières, pas très emballées mais au pied du mur, n'ont pas d'autre choix que de jouer le jeu du streaming légal. Et voilà la genèse de la consommation musicale telle qu'on la connaît aujourd'hui. Car au grand dam des cyniques de l'époque, le modèle fonctionne, et même très bien, puisque de nombreuses plateformes suivront – Deezer, Tidal, Apple Music, Qobuz etc. - et deviendront, à l'instar de Spotify, très, très puissantes.
L'écoute musicale 2.0
Impossible de nier l'impact atomique qu'on eu les internets sur notre rapport actuel à la musique. Désormais impalpable et omniprésente – sur votre streamer, dans votre baladeur, sur votre ordinateur, et surtout : dans votre smartphone, qui, soyons honnêtes, ne vous quitte JA-MAIS - la musique est littéralement et constamment au bout de nos doigts, à une impulsion digitale – ah ah – près. Une abondance – nous parlons de millions de titres accessibles en un simple clic - qui n'empêche pas les mélomanes de se montrer exigeants. Des tonnes de musique oui, mais de qualité s'il vous plaît. Le MP3 étant significativement compressé, le besoin pour une musique d'une trempe au moins semblable à celle du CD s'est largement fait sentir. Heureusement, en une petite vingtaine d'années, les progrès en matière d’échantillonnage ont été exponentiels, permettant de limiter les pertes en termes de qualité audio, et ouvrant la porte au streaming HD, dernière obsession des audiophiles... et des plateformes de streaming. Certaines, comme Qobuz, en ont même fait leur signature.
Désormais incontournables, les formats FLAC, WAV, ALAC, AIFF, DFF, DSF ou encore DSD ont été adoptés – et à raison - par la frange la plus tatillonne des mélomanes. Ces formats audio utilisent donc une fréquence d'échantillonnage plus élevée que l'archaïque MP3 – 320kbps vs 16bit/44,1 kHz pour le CD et 24bit/jusqu'à 192 kHz pour l'Hi-Res Audio - et une compression sans perte, qui permet de reconstruire parfaitement les données d’origine à partir des données compressées, sans aucune perte de qualité. (Pas de panique, on vous explique tout sur l'audio haute résolution et sans perte dans notre prochain dossier.)
------
Si le passage au numérique s'est d'abord avérée très salutaire, il a bien failli avoir la peau de l'industrie musicale. Auparavant fruit de toute une démarche physique et intellectuelle – choix proactif avant achat physique, écoute sur un support tangible - l'écoute musicale est devenue intuitive, abondante, constante, voire mécanique – immatérialité, catalogues abyssaux des plateformes, playlists préconçues par des algorithmes... Mais tout cela n’empêche en rien une appréciation exigeante de la musique, rendue possible par l'arrivée de formats dépassant de loin les talents tous relatifs du MP3. Car les balbutiements du streaming et les morceaux lacérés des White Stripes ne sont plus qu'un mauvais souvenirs, l'avenir appartient aux détenteurs d'un abonnement Tidal (par exemple). Plus d'information sur le streaming HD dans notre prochain dossier.