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Nuit et brouillard à Hollywood

23/09/2022
Le 7ème art est-il lessivé?

Il semblerait que le ciné- et série -phile 2.0 soit contraint de s’armer de sérieuses vertus nyctalopes, étant donnée l’atmosphère ténébreuse qui contamine les créations audiovisuelles de ces dernières années. Une tendance qui titille nos réflexes vampiriques, nous incite à tirer compulsivement les rideaux du salon pour y voir quelque chose, à broyer un peu trop littéralement du noir. Une neurasthénie ambiante qui, même lorsqu’elle se déroule dans un contexte diurne, s’habille d’une patine anémiée devenue générique, tant et si bien qu’il nous arrive de nous demander si nous ne souffrons pas d’une cataracte bien carabinée. Une réelle aberration à l’heure des TV et autres vidéoprojecteurs 4K, capables d’offrir à nos rétines un spectre chromatique couvert dans sa vertigineuse totalité.

 

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Si la manipulation de l’aura colorimétrique de certains long-métrages n’est pas toute neuve – pensez Fincher, Jean-Pierre Jeunet, ou encore, dans une version plus pop, Wes Anderson – elle semble avoir abandonné ses prétentions narratives pertinentes – l’obscurité glauque très adéquate du Silence des Agneaux, la teinte verte judicieusement cybernétique de Matrix... - pour se laisser aller à une uniformisation exsangue propagée sur tous les écrans. Difficile en conséquence, de passer à coté, et de ne pas se demander ardemment : mais bon sang Hollywood, pourquoi es-tu si blême?

 

La traduction colorimétrique d’un sentiment de gravité?

 

Du revival de la série culte du début des années 2000 – pourtant précédemment très pigmentée - Dexter, aux multiples déclinaisons Marvel, les couleurs sourdes font loi, résultant en une sorte de porridge ophtalmique à la fadeur austère tacitement aromatisée par le résidu de syndrome post-traumatique d’une Amérique bien calmée par le 11 septembre 2001, les crises économiques successives et - cerise sur le gâteau - une pandémie mondiale qui a fini de nous miner le moral avec un panache indéniable - liste non exhaustive.

Loin de nous l’intention d’entamer une reconversion professionnelle en vue de nous recycler dans la psychologie de comptoir, mais force est de constater que le cinéma hollywoodien de ces deux dernières décennies souffre d’un sacré cafard. Sujets abordés comme direction photographique semblent se complaire dans le spleen, les ambiances post-apocalyptiques obscures, les teintes délavées franchement rabat-joies. Un modus operandi d’autant plus flagrant dans l’emphatique domaine du film de super-héros : finie la flamboyance des décades précédentes, on nie éhontément toute filiation avec l’univers chamarrée des comic books, pour nous offrir des figures super-héroïques pâlottes et névrosées, à qui on aurait presque envie de proposer un Valium.

 

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Suspiria 1977 VS Suspiria 2018

 

La mode acharnée du remake traduit également très bien cette inclination morose. Ces resucées modernisées d’oeuvres souvent glanées dans les prolifiques millésimes celluloïdes eighties abandonnent sans scrupules les teintes exubérantes des spécimens originaux pour un look blafard imposé par le Zeitgeist.

 

Une conséquence de la révolution du numérique?

 

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Puisque le Mad Max Fury Road de George Miller nous a prouvé avec brio que contexte scénaristique dystopique pas très jouasse n’a pas à systématiquement rimer avec une inéluctable morosité esthétique, ne chargeons pas non plus de tous les maux le caractère dépressif des temps modernes. Il serait un peu réducteur de ne pas prendre en considération de nombreux autres facteurs plus ou moins nouveaux, expliquant potentiellement l’adoption machinale de ce procédé d’affadissement galopant. L’avénement du numérique au début des années 2000 a bien évidemment révolutionné l’approche technique de l’étalonnage - id est, l’uniformisation chromatique d’un long métrage en postproduction. Il faut savoir qu’un film est tourné sur une période allant de quelques semaines à plusieurs mois : les prises de vue sont donc tributaires de nombreuses conditions environnementales, qui affectent notablement la luminosité des images mises en boîte. Les techniciens devaient, pré-révolution digitale et retour ad patres de la pellicule 35mm, laborieusement homogénéiser l’ensemble plan par plan, directement sur les négatifs du film. Les caméras numériques étant désormais en mesure de capturer des images les plus neutres possibles, l’étalonneur peut ensuite appliquer numériquement la teinte qu’il souhaite à l’ensemble de l’oeuvre cinématographique qui lui est confiée. Un peu à la manière d’un filtre Instagram apposé sur votre dernier selfie élaboré. Un procédé initié en 2000 par le génial O Brother Where Art Thou? des frères Cohen, premier film ayant « corrigé » numériquement l’ensemble de sa palette de couleurs, afin de passer du verdoyant paysage printanier des abords du Mississippi à une ambiance jaune sépia aride. Un lissage des couleurs qui s’avère d’ailleurs maintenant quasi indispensable aux créations contemporaines frénétiquement montées : une multitude de plans de coupe, enchaînés à toute berzingue sans passer par la case « colour grading » risquerait de chatouiller un brin trop fort l’épilepsie latente des spectateurs. Qu’ils sont prévenants ces gens d’Hollywood, c’est fou.

Jusque là l’apanage du cinéma de genre horrifique, les ténèbres, elles, s’incrustent désormais bien au delà de leur niche habituelle. Pourquoi? Et bien encore une fois, probablement parce que la définition et le contraste amenés par le format numérique permettent d’explorer les teintes sombres jusqu’à l’excès. Pas toujours un avantage lorsque le visionnage ne peut se faire sur un support gracié par des facultés HDR - High Dynamic Range - garantes d’une image parfaitement détaillée quelqu’en soit l’exposition. Qui ne grince pas encore des dents en repensant à la série mastodonte Games of Thrones, que la noirceur exagérée de la saison 8 nous a forcés à regarder du fin fond de la cave de notre domicile? Sous prétexte de vouloir nous mettre les jetons, les réalisateurs ne se donnent même plus la peine d’allumer une bougie, ou d’appuyer sur le moindre interrupteur. Peut-être devraient-il jeter un oeil au spectaculaire contre exemple Midsommar - Ari Aster, 2019 - qui, même s’il s’inspire grandement d’un classique de l’horreur The Wicker Man, prend le contre-pied de cette tendance sinistre, tout en rendant terriblement anxiogène le plein été suédois - pensez tout de même à enfiler vos lunettes de soleil au cas où vous décideriez d’y jeter un oeil, car le choc ophtalmique pourrait s’avérer intense.

 

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Un moyen de diversion?

 

À moins que nous fassions face à un bon vieux subterfuge pour camoufler les effets spéciaux CGI et autres incrustations numériques qui pullulent sur nos écrans... Parce qu’il sera toujours plus facile de faire croire à la plausibilité d’un T-Rex de nuit et sous une pluie battante, que sous la lumière cruelle d’un soleil ardent, n’est-ce pas Monsieur Spielberg? Une méthode qui ne date donc pas d’hier, inaugurée par le pape du blockbuster lui-même, que les grosses productions, scrutées par des fans de plus en plus exigeants, ne sont pas prêtes d’abandonner.

En résumé, si jouer avec la palette colorimétrique d’une oeuvre cinématographique, ou la plonger dans la pénombre, pour lui octroyer une intention particulière n’est pas franchement inédite, c’est son caractère épidémique, voire standardisé qui frustre un brin nos rétines. Deux trois couleurs vibrantes de temps en temps par-ci par-là, c’est pas trop te demander hein, tu crois pas, Hollywood?

 

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