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Interview de Jim Davies

16/08/2022
Le président du label MoFi répond à la controverse sur le mastering numérique de ses disques.

Le label MoFi se voit accusé des pires vilenies audiophiles depuis la révélation dans la presse spécialisée du fait que ses rééditions vinyles ne sont pas tout à fait masterisées à partir des précieuses bandes maîtresses originales, comme il l’a laissé entendre jusque là. Ou du moins pas directement : une capture sur DSD s’est incrustée dans le procédé de pressage maison il y a quelques années, sans que le label ne le stipule dans son discours mercatique. Une vérité passible de déclencher une sacrée crispation stomacale chez les puristes du microsillon, assez infamante pour le label. Sous le feu des critiques, Jim Davies, président de MoFi, fait face à la polémique dans une interview avec Absolute Sound, en justifiant cette démarche décriée, et les raisons bienfaitrices de son adoption par le label. 

 

Pourquoi avoir renoncé au mastering à partir des bandes maîtresses analogiques au profit des fichiers DSD? Quels sont les avantages de cette méthode en comparaison à celle, plus traditionnelle, que vous utilisiez auparavant, et - le cas échéant - quelles en sont les limites?

 

Jim Davies : Certaines maisons de disques ont changé leur politique concernant l’envoi des bandes originales conservées dans leurs chambres fortes. Dès lors, notre seule option était d’accéder, sur place, aux bandes maîtresses de ces enregistrements. Une fois l’accès à ce master obtenu, nous nous retrouvions face à un dilemme, à savoir, comment récupérer au mieux les informations que ce dernier contient? Nous avons essayé d’en faire des copies analogiques, en testant plusieurs types de bandes (½**, 1**) et de vitesses (15ips, 30ips), mais aucune de ces options n’a été retenue. Il semblait tout simplement impossible de surmonter les inconvénients du bruit de fond de la copie d'une bande analogique à une autre. Lorsque nous avons tenté l’expérience avec le DSD, il nous est apparu comme une évidence qu'il s'agissait d'une méthode largement supérieure pour maximiser la récupération des informations. Développé en tant que format d'archivage, le DSD est transparent sur le plan sonore, avec un rapport signal/bruit très bas. NDLR : le rapport signal/bruit du DSD est supérieur à 140dB quand celui d’un vinyle dans un état immaculé et d’environ 60dB. 

Combiné au processus de transfert minutieux décrit plus loin, la capture sur DSD produit un instantané virtuel du master, révélant des détails et des nuances inatteignables par le biais des méthodes conventionnelles. Paradoxalement, cette capture produit, selon nous, une sonorité supérieure à celle d'un matriçage direct de la bande analogique au tour de découpe.

Mais le processus de réalisation de ces captures dans un studio lointain est laborieux et coûteux, car nous devons y envoyer notre propre matériel - y compris notre enregistreur Studer A80 conçu par Tim de Paravicini - louer du temps de ce même studio, et y envoyer par avion - et héberger sur place - nos ingénieurs pendant plusieurs semaines. Le processus de réalisation d'une capture DSD selon nos techniques prend une journée ou plus pour chaque bande. Ce sont de longues et épuisantes journées de labeur, et je suis fier du travail acharné que les ingénieurs de MoFi consacrent à chaque projet, et des résultats qu'ils obtiennent à chaque fois. À ma connaissance, aucun autre label de disques audiophiles ne consacre autant de temps et d'argent à chacune de ses parutions. 

Au-delà du temps, de l'effort et des dépenses qu’elle engendre, je ne connais pas de limites sonores liées à l'utilisation de ce procédé. 

 

À quel moment - en quelle année et pour quel album - la maison Mobile Fidelity Sound Lab a-t-elle commencé à masteriser à partir de fichiers DSD?

 

Le premier LP MoFi masterisé à partir d'un fichier DSD était I Left My Heart in San Francisco de Tony Bennett, sorti en 2011. Au fil du temps, nous avons progressivement masterisé de plus en plus d’albums en utilisant la capture d'archives en DSD. Des informations sur les sources de tous les titres vinyles MoFi sont ajoutées quotidiennement sur mofi.com, et une discographie complète sera publiée très prochainement sur le site. 

 

Y a-t-il encore des éditions MoFi masterisées à partir de bandes, ou le sont-elles toutes à partir de fichiers DSD désormais?  

 

Le dernier album que nous avons capturé et pressé à partir de la bande maîtresse, sans passer par l’étape DSD, est If I Could Only Remember My Name de David Crosby. Il est sorti en 2022, mais a été capturé début 2020. Toutes les autres sorties depuis passent par une étape DSD dans leur mastering, sauf si l'enregistrement original est une source numérique. À l'avenir, toutes les sorties provenant de masters analogiques intégreront cette étape DSD. 

 

Pourriez-vous détailler avec précision le processus de matriçage, de la bande maîtresse analogique, au tour de gravure ?

 

En partant de la bande originale, et avec le concours de notre Studer A80 customisé par Tim De Paravicini, nos ingénieurs font un tour d’horizon de l’enregistrement, en notant les réglages d’alignement de l’azimut à chaque coupure et raccord du montage. Après cette évaluation approfondie de la bande, l'ingénieur capture la première chanson, jusqu'au premier raccord. À chaque découpe, il réaligne l'azimut. Cet alignement précis est crucial pour maximiser la récupération des informations sur la bande. Ces bandes peuvent avoir été enregistrées dans différents studios, sur différents enregistreurs, et il est vital de s’adapter à ces derniers en alignant continuellement l’azimut. Après la capture, le fichier DSD est évalué à Sebastopol et rentranscrit en analogique à l'aide d'un égaliseur conçu par Tim de Paravicini. J’insiste sur le fait que cette égalisation n'est pas effectuée en numérique. Le signal est ensuite transmis à la tête de gravure, qui est pilotée par des amplificateurs à tubes Tim de Paravicini.

Dans un découpage analogique classique, l'ingénieur doit effectuer tous ses réglages, y compris l'alignement en azimut, à la volée. L'alignement de l’azimut est un micro-réglage, et il n'y a aucun moyen de l'effectuer avec précision lors d’un découpage à la volée. Et c'est une opération qui doit être effectuée à chaque raccord, quelle que soit la brièveté de sa durée.

 

Pourquoi certains titres sont-ils masterisés en DSD64, et d'autres en DSD256 ?

 

Tous les titres masterisés en DSD64 ont été capturés entre 2011 et janvier 2014, à l'aide de l'A/D Meitner. Lorsque de meilleures technologies sont devenues disponibles, nous sommes passés à l'A/D Horus de Merging Technologies, qui capture, lui, en DSD256. Nous expérimentons continuellement de nouveaux processus, technologies, équipements, matériaux et formules vinyle pour obtenir les meilleurs résultats sonores possibles. Si une avancée technologique se présente, nous souhaitons être les premiers à l'évaluer et à l'adopter si elle apporte un avantage sonore notable. 

 

Vous pouvez désormais produire autant de matrices que vous voulez grâce aux fichiers DSD. Pourquoi le nombre de copies produites par MoFi est-il toujours limité, l'usure de la précieuse bande maîtresse originale n'étant plus un problème?

 

Comme de nombreuses choses dans le monde « bien plus compliqué qu’il n’y parait » de la musique, des productions limitées peuvent être justifiées par différents facteurs, tels que les contrats de licence, la gestion du packaging - jaquettes, coffrets... - et même, les pénuries de matières premières. Certains le savent peut-être déjà, mais la seule usine américaine qui produisait des laques vierges a malheureusement brulé il y a plusieurs années. Dans le cas de nos sorties One-Step – NDLR : UD1S - nous basons nos limites de production sur nos estimations de la demande.

Lorsque nous avons décidé d'une édition limitée à 2500 copies pour notre premier album One-Step – Abraxas de Santana - nous n'avions aucune idée du nombre de disques à 100 $ que nous pourrions écouler. Depuis cette sortie, nous avons régulièrement augmenté cette limite, en fonction de la demande estimée.

L’idée erronée la plus courante à propos du processus de matriçage d’un vinyle est qu'avec un fichier DSD, il suffit d'appuyer sur play et d'engraver une matrice pour que tout soit terminé. Ce n'est tout simplement pas le cas. Il y a de nombreuses étapes supplémentaires entre la capture DSD et le moment où le disque est finalisé. Pour graver une matrice, le signal DSD est introduit dans un égaliseur analogique. Chacune de ces égalisations est effectuée par nos ingénieurs. Une fois la laque et la matrice prêtes, des pressages d'essai doivent être effectués, contrôlés et approuvés. Ce processus est répété pour chaque vinyle. Étant donné qu'un seul jeu d’empreinte peut être fabriqué à partir de chaque matrice One-Step, il va sans dire qu’une production toujours plus importante de ces disques nécessite une quantité considérable de temps et de travail. En plus des coûts de mastering, des décisions doivent être prises sur le packaging bien en amont de la date de sortie.

À un moment donné, compte tenu de notre important carnet de commandes pour les futures sorties One-Step, nous n’avons d’autre choix que de passer au titre suivant. Concernant nos éditions vinyles classiques, nous fixons les limites de production en fonction de nos estimations de la demande. Nombre de ces limites ont été fixées avant la pandémie, qui a complètement bouleversé nos estimations. 

Enfin, pour en revenir à l’usure des bandes, nous nous devons d'aider à préserver ce qui constitue des témoignages sacrés de notre histoire musicale. Ces moments ont été capturés sur un support physique désormais fragilisé. Les bandes maîtresses sont donc une ressource périssable. Nous avons le privilège d'être non seulement responsables de ces enregistrements l’espace d’un court instant, mais également de participer à leur transmission, en les présentant au monde sous ce que nous pensons être leur meilleur jour. 

 

Cette révélation à propos du pressage des vinyles MoFi à partir de masters numériques a suggéré à beaucoup que les avantages d'une chaîne purement analogique sont imaginaires. Que répondez-vous à cela ?

 

C'est un débat vieux comme le monde et qui n’est pas près de s’arrêter. Je ne peux parler qu’en notre nom et celui de notre méthode. Nous avons procédé à des évaluations approfondies de tous les aspects du processus de masterisation, et nous avons constaté que l'utilisation de notre matériel propriétaire, associée à ces étapes, donne les meilleurs résultats sonores. En fin de compte, c'est à chaque auditeur de prendre sa propre décision quant à ce qui lui convient le mieux. Nous pensons que les excellentes critiques de nos clients et de la presse confirment notre point de vue. Et nous leur en sommes très reconnaissants.

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